17 janvier 2011
On entend parler des San Blas et des Kunas depuis longtemps. D’autres aussi. De plus en plus de touristes visitent les villages, surtout à proximité de Panama et de Colon. Nous avons pointé l’étrave en conséquence.
Le soleil se lève sur Mamitupu. Peu d’influence extérieure ici. Pas d’électricité, pas de moteur, pas de moderne. Une cinquantaine de canots traverse la baie qui sépare le village de la montagne. Quelques-uns passent près du voilier pour nous sourire et nous envoyer la main. Ils se rendent à la montagne pour y récolter des fruits.
Nous avons touché terre près de la frontière entre la Colombie et Panama, dans le creux du territoire Kuna. Depuis 1925, le Kuna Yala. Car en cette année, les indiens se sont révoltés contre le gouvernement de Panama qui bousculait leur mode de vie. Un navire américain qui mouillait dans l’archipel, le U.S.S Cleveland s’interposa pour éviter le bain de sang. Ils sont tous amis maintenant, la menace vient d’ailleurs. Aux grands mots, les grands remèdes. Pas d’étrangers peuvent acheter de terres ici. S’il y a mariage entre un étranger et un Kuna, le couple ne peut vivre dans le village. Les chefs débattent maintenant où et si les étrangers peuvent débarquer tout court.
Le gouvernement de Panama semble se mêler peu de leurs affaires. Chaque village a 3 chefs et les habitants se réunissent quotidiennement (congresso) pour discuter d’actualité et régler les problèmes. Participation obligatoire. Les femmes, enfants et hommes séparés, assis sur des bancs. Les chefs au centre dans leur hamac. Leur jugement est respecté et sans appel.
Le Kuna ne possède pas de terre dans le village, les gens s’entendent sur l’endroit où les huttes seront construites. Les cocotiers eux ont des propriétaires et don’t touch, ça les insulte au plus haut point. Les Kunas vendent les noix aux colombiens qui sillonnent la côte en bateau. Ils chargent des noix et déchargent des denrées. C’est comme ca qu’ils s’approvisionnent car pas de route. Presque pas de route. La seule qui s’y rend, la seule du Kuna yala n’est pas pavée, ni gravelée. On recommande d’avoir un 4x4 équipé d’un treuil et beaucoup de patience pour la pratiquer.
Ils se déplacent en canots fabriqués à même le tronc d'un cèdre qu’ils creusent en 1 semaine. Leur maison est faite de bambou et de feuilles de cocotier. Le plancher est en terre, ils dorment dans des hamacs. C’est solide, étanche et le tout est érigé en 2 semaines. La montagne leur donne des fruits, la mer du poisson et la nature est généreuse sous ces latitudes. Ils élèvent des porcs qu’ils gardent dans des cages au-dessus de l’eau. Self cleaning. Ils disposent donc de beaucoup de temps. Que font-ils avec ? Nous sommes loin d’avoir tout vu, mais on a remarqué les tenues élaborées des femmes Kunas.
Leurs poignets et chevilles sont couverts de bracelets. Certaines portent un anneau d’or au nez ainsi qu’un trait de crayon noir qui relie le front au menton. Elles se dessinent des cercles de peinture rouge sur les pommettes. Le plus impressionnant, c’est les molas qui décorent leurs blouses. Des patrons d’animaux et de formes géométriques, composés d’appliqués de tissus de couleurs variées et de fins points de broderie. L’ensemble est unique et franchement très joli. À ce qu’on dit, les femmes se sont mises à décorer ainsi les vêtements que les missionnaires leur ont demandé de porter. Elles reportaient sur tissu les motifs qu’elles se peignaient sur le corps, symboles sensés les protéger des mauvais esprits. Pas trop clair si c’est la bonne version.
Une posture très droite et un air toujours serein. Grande classe et grandes dames, malgré leurs petites tailles. Nous aurions aimé vous présenter d’avantage d’images d’elles mais très peu acceptent d’être photographiées. Paraît que les Kunas pensent que ça leur vole un peu de leur esprit. Pas trop clair ça non plus.
Ce qui est clair, c’est Pablo, un Kuna qui est retourné vivre dans son village après s’être marié et avoir vécu quelques années en Angleterre. Le village de Mamitupu n’occupe que la moitié de la petite île, l’autre partie étant selon les villageois le domaine de « Espiritu Malu », l’esprit maléfique.
« Espiritu Malu, c’est moi ! » dit Pablo de toute évidence sceptique.
Malgré leurs efforts, le monde entre chez eux. De plus en plus clair à mesure que l’on remonte la côte vers Panama. Plus de voiliers, plus du reste. Un Kuna dans un canot à moteur nous a demandé si nous pouvions recharger les batteries de son cellulaire. Matière à débats pour les chefs. Courage messieurs, le problème est de taille.
Nous sommes actuellement au canal de Panama en attente de passage.
Les filles en Mola |
25 décembre 2010
Nous sommes aux environs de Coco Banderas (9'29.5N et 78'41.3W) dans les San Blas. Sept équipages-copains s'y sont rassemblés pour partager un pot-luck de Noël autour d'un feu de camp.
15 décembre 2010
Avons quitté la Colombie dimanche pour entrer dans le royaume des indiens Kunas (Panama). Avons fait les 140 miles nautiques en flotille en compagnie de 2 autres voiliers québécois et d'un français. Ici, pas de modernité et économie basée sur le commerce de la noix de coco. Nous planifions longer la côte et y explorer les villages traditionnels. Quelques équipages se sont donnés rendez-vous plus au nord pour fêter Noël. Avec l'équipement à bord, nous pouvons publier du texte, mais pas de photos. On partagera les images en janvier lorsque nous atteindrons le canal de Panama et l'accès à une connexion internet haute vitesse. Notre position actuelle 9'00N et 77'45W. Tout baigne.
Carthagène - Novembre 2010
(10'24.5N, 75'32.5W)
Carthagène fête sa fête le 11 novembre. Ses habitants et les nombreux visiteurs qui l’ont envahie festoient depuis le 10 et ce jusqu’au 14. Tout le monde en fait partie. Deux autres équipages et quelques mousses se joignent à nous pour vivre ca.
« Taxi ! El centro, por favor ».
Nous retrouvons le centre-ville pratiquement désert, tout est fermé. Le coin historique, la vieille ville fortifiée, de belles grandes rues pavées de pierres avec personne dessus. Nous continuons notre marche en balayant du regard les ruelles. De très jolies ruelles sur lesquelles les carthagénois ont veillé à préserver le patrimoine. Il y a des commerces et tout mais ils se fondent dans l’architecture d’antan. De grandes portes de bois en arceau, assez hautes pour laisser entrer cheval et cavalier. Nous voyons beaucoup de portes, tout est fermé. Mais où sont-ils tous ?
Voici un petit groupe de jeunes marchant d’un pas décidé qu’on décide de suivre, voilà un pont bondé et voici la foule. Nous y plongeons et bifurquons avec elle vers la gauche, sur la muraille. Superbes fortifications, les espagnols entreposaient ici l’or pillé aux indigènes. Ils devaient à leur tour le protéger des pirates, le temps de le ramener chez eux. On s’est beaucoup battu ici.
Où vont-ils tous ? Pourquoi aller ailleurs ?« Espuma se vende !» qu’un type crie au coin de la rue. Dans ses mains, de grandes canettes d’aérosol. Beaucoup d’énergie partout. Deux types nous barrent la route, le corps peint d’une épaisse couche de quelque chose de très noir salissant. Ils écartent grands les bras en s’approchant de nous, tout sourire et tout en espagnol. On comprend que quelques sous nous éviterons leur étreinte. « No abla espagnol, no comprende ». Ils nous confèrent l’immunité diplomatique et nous quittent après avoir ciblé un couple de jeunes derrière.
« C’était quoi ça ? »
« Les filles, vous verrez des choses aujourd’hui. Gardez tout ça pour le déjeuner et restez près de nous ».
Ce n’était pas un incident isolé mais semble-t-il une coutume propre à cette fête. Nous avons vu plusieurs de ces types enduits ainsi que plusieurs de leurs victimes. À 3 reprises, ils nous ont abordés. À chaque fois repoussés par le tout puissant « no abla espagnol ».
« On a pas envie de se faire salir! » « Maman, j’ai mis ma chemise blanche ! »
« Inquiète-toi pas Camille, on est des étrangers, c’est pas notre fête à nous ».
«Espuma se vende ». Cette fois-ci, c’est plus officiel. Un kiosque, des canettes disposées en rangs, un sourire de vendeur. Du gros, du volume.
« C’est quoi espuma ? »
« Je sais pas, mais il y en a beaucoup ».
Au même moment, une fille passe en courant, une autre la rejoint par derrière, canette d’espuma à la main et pouishhhhhhhh. De la mousse blanche, beaucoup de mousse blanche, en jets d’environ 10 pieds. Camille a sa réponse.
Le débit humain augmente, la musique s’amplifie, les corps barbouillés sont plus nombreux, on s’enfonce vers le bord de mer. Des rires, beaucoup de rires.
On ne sait pas d’où le coup est venu, ni ce qui l’a provoqué mais désormais, le goût, l’odeur et la texture du mystérieux espuma ne nous est plus étranger. Les filles, dont la tête est 2 pieds plus bas, sont épargnées par le tir. Elles nous regardent silencieuses, la bouche ouverte.
« Espuma se vende !»
« Camille, Rosemarie, le temps est aux armes. Si aujourd’hui nous devions tomber, que Dieu (et vos oncles) vous gardent.»
« Senior, espuma por favor »
La 2e attaque n'a pas tardée à venir. La 3e et la 4e non plus. Nous ripostions mais il était difficile d’y voir clair dans la mousse. Beaucoup d’agitation, de munitions gaspillées. Nous décidons de mettre les enfants au centre et de former un périmètre de sécurité en avançant dans la foule. Des tirs de barrage sont effectués pour nous dégager un passage. Cette stratégie fut de courte durée. Au fil de nos pas, le taux de fêtards déjà enmoussés augmentait rapidement, ce qui les rendait insensibles à nos tirs. Pour nous sortir de ce guêpier, nous avons été contraints de nous placer en file indienne, exposant ainsi les enfants sans défenses.
Les petites têtes propres et sèchent furent vite repérées et la brèche exploitée. Camille fut la première à réagir. Elle saisie ma cannette d’espuma à deux mains, pencha tout son corps vers l’arrière et plia les genoux en tirant de toutes ses forces. À travers le nuage de mousse qui recouvrait son petit visage, des traits tendus, un regard déterminé. Mes mains pleines d’espuma ne purent retenir la canette qui glissa.
« Camille, noooooooon ! »
Mes paroles ricochèrent sur ma fille qui s’élança à flancs découverts puis tira en rafales sur les coupables. Tout s’est fait le plus sérieusement du monde, méthodiquement, précisément. Si bien que les agresseurs aveuglés ne purent riposter.
Camille avait sa vengeance et nous, la voie de notre salut. Il nous fallait armer les enfants.
« Senior, necessito mucho espuma por favor »
Le capitaine d’un bateau-copain achète également des canettes à ses deux fils de 9 et 5 ans. Impossible de les retenir. Nous passons à l’offensive. Ils ne font pas de quartiers, aucun prisonnier. Le petit s’est particulièrement distingué. De petite taille, il se déplace rapidement entre les jambes de la foule. Le tir provenant d’un angle inattendu, les victimes sursautent lors de l’enmoussement. Le petit tire sans distinctions, sans égards pour l’âge ou quelconque statut. Sur l’uniforme, sous la jupe, il n’épargne rien ni personne. Qui pourrait bien en vouloir à un enfant de 5 ans dans ce contexte? Son style attire l’attention des artilleurs ennemis. Pendant un court moment, il fut le seul à tirer, les autres étant ébahis devant son audace. Brave petit, il dirigea sur lui les tirs qui nous étaient destinés. Il était devenu l’homme à stopper. Toutes les canettes étaient pointées sur lui. Nous avions vu ce petit nager sous l’eau sans masque à Bonaire. Ses yeux habitués à l’eau salée n’étaient pas incommodés par l’espuma. De toutes parts, des tirs l’atteignaient de plein fouet et lui, il avançait comme un train dans cette neige. Il nous dégagea le passage.
Arrivé à la pizzéria, il ne cessait de crier « encore ! encore ! » pendant que nous pansions nos blessures. Trop jeune pour voir le feu de si près, il en gardera des séquelles. Nous en garderons tous.
Tous ces gens étaient rassemblés pour voir un défilé organisé pour fêter la ville. Le défilé fut sûrement très beau. Nous, on a célébré la camaraderie des habitants de Carthagène. Une pareille gang qui s’arrose de la sorte sans que personne s’énerve, ce fut notre spectacle.
Wow! À lire et à relire! Et qu'elles sont jolies les deux princesses en mola!
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