20120725

On vous a pas raconté…(juin)

 

Abordés par des Pirates dans les Trobriands.

L’archipel porte le nom du premier lieutenant sur le navire du compte D’Entrecasteaux qui a découvert ces îles. Après une journée superbe passée à visiter un village sur Kiriwina, nous regagnons le voilier en annexe. Trajet assez long, le voilier est ancré à plus de 3 miles du village car l’eau est peu profonde dans le chenal qui y mène. Ancré assez loin pour être isolé, pour ne pas apercevoir le voilier à partir du village. Assez loin pour se sentir seul.

Nous approchons du bateau et remarquons une grande barque pleine de monsieurs qui flotte tout près devant. Trop près. Rien faire n’est pas une option, peu importe leurs intentions. Inutile de déranger le reste de la famille pour l’instant, Mélanie et les enfants montent à bord, je vais me débrouiller seul. Cap sur la barque. Une cheminée s’élève au-dessus de certaines têtes et une canette de bière quitte une main et se retrouve à l’eau après avoir tracé un grand arc de cercle dans ce ciel. Ca risque d’être compliqué.

Ils sont 6 hommes à bord, d’âge mûr et varié. Certains complètement vêtus, d’autres en bedaine dans une belle grande barque montée d’un moteur hors bord neuf. Sur le côté, on peut lire « Goodenough Island Elementary School ». Du monde des alentours. Ils ont la bouche et les dents rouges des mâcheurs de « bitternut », mais sont à la bière aujourd’hui. Ne semblent pas particulièrement heureux de me voir arriver. Je m’agrippe à la barque, pas d’accueil. Sauf peut-être par un type légèrement derrière sur ma droite. Il est saoul et prononce quelque chose avec le sourire. Je ne distingue que des syllabes dans le désordre.

Présentations d’usage : qui nous sommes, ce qu’on vient faire ici. Beaucoup de bières dans la barque. Équipage pas très bavard. Un plus gros, plus sérieux ne me quitte pas des yeux, Le chef. Sont-ils près du voilier par simple curiosité ? Gros efforts, gros sourires pour que le dialogue s’amorce. Ca dégèle lentement, un commentaire ici, une question là. S’ensuivent quelques échanges qui ne plaisent pas au chef. Il lance d’un ton ferme : « We are pirates !».

Le gars me dit ça à partir d’une barque servant au transport d’écoliers, c’est donc peu probable. A moins que ce soient de vils et infâmes pirates ayant volé la barque, jeté les écoliers à la mer et troqué les effets scolaires contre de la bière.

Toujours est-il que ses paroles ont eu sur ma personne un effet visible qui semble avoir du coup attendri une partie de son équipage. Peut-être ont-ils trouvé que le chef y allait un peu fort avec ce pauvre touriste loin de chez lui ? En plus des nouvelles syllabes réconfortantes prononcées par mon ami légèrement derrière sur ma droite, j’ai droit à mon tour à quelques explications. C’est la période électorale, ils sont venus sur l’île écouter le discours d’un candidat. Ils ont emprunté la barque de l’école pour faire le trajet.

Le chef en remet : « We are revolutionnaries. We want to take down the government after the election. We need weapons. Do you have weapons on board ?”. Personne à bord ne le contredit, ne tourne ça à la blague. Trop saoul ? Chef trop belliqueux ?

Pourquoi tourmenter le petit touriste blanc seul et loin de chez lui ?

En fait, la question, c’est pourquoi ne le ferait-il pas par ce bel après-midi de bière passé entre copains.

Toujours est-il que de mon côté, c’est pas agréable. Ils pourraient au moins m’en lancer une (pleine).

À la guerre comme à la guerre.

Nos embarcations, qui ont lentement dérivées, se trouvent sur le flanc tribord du Dorénavant, à portée de canons. Certains à bord ont des yeux de père de famille. Assez joué, le temps est venu de tirer une salve.

« Come closer, let me introduce you to my family ».

Entrent en scène Camille qui à la sagesse du hibou et Rosemarie, la finesse du renard. Elles s’assoient dans le cockpit et offrent à nos assaillants de franches salutations portées par un sourire voilé d’un air légèrement timide. Terrifiant le pouvoir qu’ont les enfants sur le cœur des hommes. Les deux obus frappent la barque de plein fouet.

Scène désolante. Parmi les éclats de bois, l’intimidation, les mauvaises intentions et les airs méchants gisent démembrés. Du sang partout. Quelques sourires en provenance de la barque percent l’épais nuage de fumée issu de la détonation. Le seul qui a tenu, le chef, semble désorienté et abasourdi. Mélanie bondit dessus pour l’achever à coups de cigare.

« Cohiba ! Cuban cigars ! Fidel Castro! Che Guevara ! » S’exclame-t-il alors…souriant.

Tout le monde debout dans la barque, c’est l’extase. Le dialogue s’initie et s’enchaîne. Il défile, s’allonge, s’amplifie, s’amenuise, redémarre de plus belle. Chaque camp fait des efforts pour trouver des sujets communs de discussions. Même mon ami aux syllabes réussit à agencer un « yes, good » dans le bon ordre. Invitation à visiter leur île, le chef nous donne son numéro de cellulaire. Le contacter si on a des problèmes dans le coin.

« Me and my boys will take care of you » affirme-t-il.

« Before you go, can I take a picture ? » demande Mélanie.

« No, you can’t take pictures » répond le chef soucieux de préserver l’anonymat.

Il joua jusqu’au bout.

« Yes, take the picture ! Take the picture ! » répondit sur le coup et en coeur ses boys dans la barque.

Leur bateau fila dans le chenal peu profond et à toute allure. On pouvait presque entendre l’hélice plier sur les patates de corail au passage. Du matériel scolaire tout neuf. Infâmes pirates.

Ils sont quand même partis avec 6 de nos cigares. La prochaine fois, je fais un homme de moi et saute dans la barque, couteau entre les dents.

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Vous pouvez identifier le chef ? L’homme aux syllabes ?

Tenter votre chance en envoyant vos réponses au dorenavant1@gmail.com

A gagner, un délicieux cigare Cohiba !

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