20110629

Les Marquises

En traversée



Arrivée à Fatu Hiva



Des pics qui se perdent dans les nuages côtoyés par des ravins abrupts se jetant dans la mer. Les Marquises ne sont pas très solides. La pluie, le vent et le Pacifique en ont découpé de grands morceaux. Les éléments en ont fait des cathédrales. Quelques unes ont une piste d’atterrissage, aucune n’a de gros complexe hôtelier, toutes ont un jolie nom.

Pas de plage ici, des montagnes, des fruits et des vallées, des mammifères et des gens. Contre vents et courants, n'ayant ni carte, ni instrument, ne suivant que les étoiles dans de petites embarcations, les premiers sont partis d'Asie pour arriver ici il y a environ 2000 ans. Aide à comprendre le cannibalisme. Du monde comme ça, faut que ça mange de la viande et point de mammifères aux Marquises à cette époque. Sangliers, chèvres et chevaux ont été introduits beaucoup plus tard par les européens. Introduits en même temps que l'Église. Et celle-ci a eu la vie dure, de part la chaire tendre de ses missionnaires et le caractère du peuple marquisiens.

Le cannibalisme a fait partie des habitudes alimentaires jusqu’en 1879 dit-on. L’Église a travaillé fort pour que ça s’arrête, mais les maoris sont forts et fiers. Après 40 ans d’apostolat, seulement 25% de catholiques dans la population.

Les tatouages couvraient tout leurs corps. Marques de courage, de maturité, d’appartenance au clan, de spiritualité, de caractère. A force de temps, ils finirent par disparaître avec l’évangélisation de la population. Tout, même leur signification. On déambule aujourd’hui en toute sécurité dans les vallées. Nous avons cependant vu plusieurs corps et quelques visages tatoués. Retour aux sources ?

Les habitants voyagent très peu entre les 6 îles des Marquises. Peu de navettes et elles sont dispendieuses. Ils sont ravitaillés aux 3 semaines par l’Aranui, un hybride cargo/croisière. Les passagers visitent l’île pendant que l’équipage décharge la marchandise.

Ici, tout se vend cher. On contourne par le troc. Rien ne semble compliqué et on dit les choses comme elles sont. Pas comme on veut les entendre.









Fatu Hiva (10' 27.9 S, 138'40.1 W)

C’est ici que nous sommes arrivés après 23 jours de navigation. Avec une rage non pas de viande mais de fruits. Difficile de conserver des fruits pendant 23 jours. Les derniers mangés furent en conserve. Ça va les conserves, le corps a ses vitamines, il métabolise, le scorbut est tenu en échec et tout, mais il manque quelque chose. Les marquisiens le savent et savent reconnaître les équipages. Accueil légendaire. Lors d’une rencontre, peu de mots précèdent le « vous voulez des fruits ? ». Vous avez été émus par un pamplemousse ?

Paysage impressionnant. Fertile et fragile. Des pics étroits et escarpés, des vallées profondes, une végétation riche, des fleurs partout. Et des fruits.

L’Aranui mouille dans la baie. Le spectacle habituel est donné pour les passagers à l’escale. Une troupe d’une vingtaine de danseurs du village. Environ une cinquantaine de spectateurs. Chorégraphie maladroite, pas par manque de talent (par moment, c’est beau) mais par manque de pratique. Prestation généralement désintéressée. Les danseurs n’en semblent pas gênés, ils rient entre eux. Les passagers visitent ensuite quelques kiosques où sont offerts sculptures et autres artisanats.

« Ça représente quoi cette statue ?

- Je sais pas, c’est une statue. On appelle ça un tiki. C’est beau n’est-ce pas ? »

Un passager discute avec un danseur.

« Ma femme aime beaucoup votre paréo. Je peux vous l’acheter ?

- Je veux bien, mais je me suis assis dans la peinture (en se retournant). De toute façon, c’est pas compliqué à trouver, ça vient d’Air Tahiti ».

Les choses comme elles sont.

Un voilier américain dans la baie a endommagé son gouvernail. Impossible de réparer avant Tahiti qui se trouve à 5 jours de voile. Il veut entrer en contact avec la garde côtière.

« Let’s go at church tomorrow. The gendarme will probably be there, I’ll translate for you ».

Même endroit que le spectacle de la veille. Tout le village semble y être.

On demande à un marquisien :

« Il y a quelque chose de spécial aujourd’hui ?

- Eh bien c’est dimanche. »

Des images religieuses portées ici et là. Tenues soignées, cheveux coiffés, rien de froissé. Beaux et fiers. Les gens se dirigent vers l’église, nous avec eux. Des fleurs partout. L’église est bondée, des couronnes de fleurs à l’entrée, sur les murs, devant l’hôtel. Derrière, Jésus n’est pas en croix, il est sculpté debout, sourire aux lèvres avec un bâton de berger. La photo n’est pas de Benoît XVI mais de Jean-Paul II. A travers la fenêtre ouverte, une vue imprenable sur un fruit, pendu à un arbre. Une fille entame un chant marquisien, suivie par tout le village. Absolument tout le monde chante à pleins poumons. Cette fois-ci, c’est pour vrai et ça transporte. Il tonne dans l’église.

Le capitaine rencontre le gendarme avec nous. On apprendra plus tard qu’il s’est rendu sain et sauf à Tahiti après s’être confectionné une barre de fortune. Chapeau.

Une randonnée dans la vallée. On parle moins qu’à l’habitude, lieux imposants, contemplation. Une invitation au passage. On ressort avec une baguette de pain, des tomates, du gingembre, de la laitue et des sourires. Et des fruits. Rien n’est demandé en retour. Nous apporterons des cadeaux demain.

Un banc de dauphins entre dans notre baie. Ils sont nombreux et excités. Nouvelle figure, certains font des vrilles en bondissant hors de l’eau. Le voilier est ancré, ils sont à nous. Hop dans le zodiac. A tour de rôle, on saute à l’eau, moteur en marche, masque au visage et amarre en main. C’est la saison des amours. Dans un concert de cliquetis, les dauphins valsent ensemble. Lieu tout désigné.








Vendredi après midi, départ pour la chasse aux sangliers

Hiva Oa (9'48.2 S, 139'01.9 W)

Courte escale et une gerbe de fleurs, cueillie sur le chemin, pour Brel et Gauguin.

 
Pirogues à balancier.                                                          En route vers Nuku Hiva


 Entrée dans la Baie d'Anaho


 
Nuku Hiva (8'49.3 S, 140'03.7W)

Navigation de 36 heures. Très peu de vent. La baie d’Anaho et ses raies mantas. Aperçues trop tôt le matin pour que nous trouvions le courage de plonger avec elles. Quelque chose que nous n’aurions pas dû remettre au lendemain. La balade jusqu’au village de Hatiheu fut bien. Il y avait des manguiers sur le sentier.


Baie d'Anaho





                                                                               Hatiheu



Au sud, la baie de Taioa. Encore ancré au sein de cathédrales. Pas de route, accès uniquement par la mer. Au fond, un sentier unique avec au bout, au bout de 2h de marche, une chute. Mesurant plus de 300 mètres, on la dit la 3e plus haute au monde. Sur le sentier, on croise tout le monde de la place. Les maisons sont construites de part et d’autre. Nous sommes les bienvenus. On nous a parlé de madame Monette. Sur demande, elle prépare des plats polynésiens pour les équipages de passage. C’est cher, mais c’est chez elle. Elle nous attend au retour.

Beaucoup de marquisiens vivaient dans cette vallée jadis. A plusieurs endroits, des assemblages de pierre. On devine des murets, des terrasses, des fondations. Le tout très vieux et recouvert d’une dense végétation. La vallée appartient à une famille qui trouve les vestiges bien comme ils sont. C’était le dernier retranchement cannibale des Marquises, dit-on.

Le sentier s’enfonce creux entre les pics. Quelques versants verts et au bout, la chute. Eau froide, on doit plonger sous un rocher pour accéder au bassin. Très difficile de s’approcher. Air déplacé par l’eau qui tombe génère un fort vent, chargé d’eau. On n’y voit rien. Ça gronde, c’est très bruyant. Très beau.

Bonjour madame Monette et monsieur Mathias. On nous attend, la table est prête et pleine. Poisson cru au lait de coco, veau, sauces, pains, limonade. Et des fruits. Les échanges coulent doucement. Quel bel accent. Des gens biens. Ils sont grands-parents.

« Aller, aller, faut bien manger ».

C’est copieux. Madame Monette ne cesse de faire le tour de la table et de nos assiettes, louche à la main. Monsieur Mathias est né dans cette vallée. Il ne comprend pas pourquoi les gens sont éblouis par le paysage, pourquoi ils prennent la peine de se rendre jusqu’à la chute. On s’habitue décidemment à tout.

« Allez, régalez-vous. »

Ils viennent d’acheter un pick-up d’occasion pour aider la famille avec l’entretien du terrain. La livraison coûta plus cher que le véhicule.

« Aller faut bien manger…faut bien manger. Il est bon le poisson, prenez encore le poisson ».

« Mon fils est bon danseur ! » lance monsieur Mathias. Chez nous, c’est comme dire « Mon gars est bon au hockey ». Des danses guerrières. Il fait parti d’une troupe qui offrira des spectacles à Paris dans quelques mois. La troupe s’entraîne au village voisin de Tahiohae.

« Vous aimez les bananes frites ? Il faut manger les bananes frites. »

Sentiment étrange soudain. Cherche-t-on à nous engraisser ? Pire encore, nous farcir ? Le vrai repas est-il un peu plus tard ?

Tour d’horizon. La pièce est ouverte et les grandes fenêtres derrière nous ne sont pas vitrées. Elles donnent sur le sentier. Si madame Monette montre les dents, il sera possible de déguerpir par ces ouvertures. Les filles se portent bien sur les épaules, on court vite. Plan solide, obéissons.

« Le poisson est délicieux. J’en prendrais encore volontiers. Et des fruits aussi svp. »

La baie de Tahiohae. Promenade dans le village en soirée. On suit le bruit des tambours qui nous porte derrière une école. Danse en pleine air, dans la cour. Les hommes au centre, les femmes autour. Des moins justes, des moins souples, un tout authentique et parfait. Ils ont beaucoup de fun. Ils dansent pour eux, avant de danser pour les parisiens. C’est sûrement la troupe du fils bon danseur. On a tout filmé.



 

















Hakaui, baie de Taioa.

























Ua Pou (9'21.4 S, 140'06.2 W)

Chaque sculpture est unique, chaque île des Marquises est unique. Au fond de la baie, de grands pics marquent l’emplacement des anciennes cheminées volcaniques. Une famille organise un repas pour les quelques voiliers ancrés. Encore une fois chez eux et toujours aussi copieux. Menu polynésien varié avec cette fois-ci, du ourou, de la chèvre et du sanglier. Le fils du type qui organise le repas, Adrien, vient s’asseoir près de nous.

« C’est toi qui l’a chassé le sanglier ?

- Oui, moi et les chiens. »

Les chiens aux Marquises sont pour la plupart attachés. Libres, ils se regroupent et disparaissent dans les vallées pour chasser le sanglier. Et ils trouvent et attaquent. C’est avec eux que les marquisiens chassent. Ils perdent souvent des chiens, c’est gros un sanglier et ça charge. Un chasseur de Nuku Hiva nous a raconté qu’après la mise à mort, la première part est toujours pour les chiens.

« Dans un guide, il est écrit que vous tuez le sanglier à la lance, comme autrefois. Tu le tue comment le sanglier ?

- A la carabine voyons. T’as des cartouches ?»

Les chosent comme elles sont.

« Tu viens chasser avec moi ? J’y vais demain. Je pars à 4h du matin. Je vais loin dans la vallée.

- Seulement si madame Monette ne vient pas.

- Qui ?

- Je voudrais bien, mais Nath et docteur Pierre viennent nous voir à Bora Bora en juin. Faut qu’on bouge.

- Qui ?

- La famille. Elle nous manque. »

On prend ensemble une gorgée de Hinano. Rosemarie et Camille font la danse de l’oiseau avec les petites marquisiennes près de la table de picnic. Derrière elles, un arbre à fruits.

C’est d’ici qu’Adam et Eve ont été chassés. On va essayer d’y revenir.






Hakamoui




Hakahetau

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire